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Psychologie et psychothérapie en ligne : que dit la recherche scientifique sur leur efficacité ?

Les premiers pas de la psychologie et de la psychothérapie sur internet 

Internet est le réseau qui s’est le plus rapidement développé, et bons nombres de personnes se sont très vite rendues compte que cela pouvait avoir un impact sensationnel sur nos vies personnelles et professionnelles. Très vite, nous nous sommes aperçus que nous pouvions utiliser ce réseau pour discuter avec nos proches et de nombreux outils permettant de faciliter notre vie sociale ont été créés.

La psychologie et la psychothérapie se sont implantées sur internet rapidement après la découverte citée plus haut, d’abord sous forme d’échanges entre pairs via des groupes de paroles et de soutien psychologique sur internet. Ces groupes avaient pour but d’exposer une problématique rencontrée et d’autres personnes y répondaient, selon leur propre expérience, et y donnaient des conseils.

Et c’est en 1985 que nous voyons éclore les premières professionnalisations des interventions sur internet. L’université de Cornell met en place un service, “oncle Ezra”, tenu par le fondateur de l’institution, à qui les étudiants peuvent écrire pour parler de leurs problématiques. Si la réponse est susceptible d’intéresser de nombreuses personnes, la réponse est alors postée publiquement.

En 1993, le professeur de littérature à l’université de Maryland, Simon Ehlert se forme à la psychothérapie dynamique ainsi qu’à la psychanalyse en 1995 et commence, la même année, à proposer ce qu’il appelle “email counselling” pour la modique somme de 5 livres la session.

David Sommers ouvre sa “cyber-clinique de santé mentale” en 1995. Préoccupé par le système de soin de l’époque qui écartait de nombreuses personnes de prises en charge psychologiques, il crée un site qui propose différentes rubriques : des pages axées sur de l’humour, des analyses sur la psychiatrie, les thérapies non traditionnelles, etc. Il propose également des services de thérapie en ligne par mail (avec des échanges quotidiens ou quasi-quotidiens), au prix de 100 dollars le mois payables en avance.

En 1996, Maria Ainsworth met en ligne un site, “metanoia.org” qui recense tous les psychothérapeutes proposant leurs services via internet. Elle se questionne et s’inquiète du manque de garantie auquel font face les patients concernant le sérieux des interventions proposées déjà à cette époque. Maria Ainsworth est une habituée des groupes d’entraides. Elle s’investit, dès 1983 dans un groupe destiné à la dépression et y découvre que les personnes sont beaucoup plus enclines à se confier sur ces groupes plutôt qu’en face à face (notamment grâce à l’anonymat ou le “pseudo-nymat” qu’offrent ces groupes et qui réduit fortement la peur d’être jugé) et que les liens tissés sont parfois de meilleure qualité que les relations présentielles. En revanche, certains éléments lui font se rendre très vite compte que ces espaces nécessitent la présence de professionnels formés à la prise ne charge des troubles psychiatriques. En 1995, elle cherche un(e) thérapeute pour prendre en charge ses propres difficultés psychiques. Elle écrira un livre sur son parcours et sur les spécificités du travail effectué, “my life as a e-patient”, disponible en ligne puis publié dans le livre de Robert C. Hsiung (2002), plus connu sous le nom de Docteur Bob.

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Depuis ces années-là, le nombre de sites recensant divers thérapeutes pratiquant la thérapie en ligne n’a cessé de croître. En 2000, Maria Ainsworth recense 44 sites et 63 l’année suivante. Et les pratiques et cadres de travail des thérapeutes sont toutes plus diversifiées les unes que les autres. Le champs de la santé mentale a ensuite attiré les investisseurs et ainsi, les années 2000 ont vu éclore des “cyber-cliniques” ou les praticiens disposent d’un espace dédié pour réaliser leur consultations et ou le patient-consommateur peut choisir son thérapeute en fonction de différents critères.

Les études officielles ont débutés en 1999, avec la création de l’International Society for Mental Health Online (ISMHO) qui a créé le Online Study Case Group, un groupe de 16 thérapeutes très intéressés par la pratique en ligne. L’objectif des recherches de ce groupe étaient de s’appuyer sur des études de cas cliniques pour aborder les difficultés théoriques, éthiques et techniques de la pratique en ligne. Parmi ces thérapeutes, nous retrouvons des pionniers de la psychologie en ligne : Michael Fenichel et John Suler.

Ce groupe publiera, par l’intermédiaire de John Suler (2000), un document comportant 61 hypothèses sur le travail clinique et la psychothérapie en ligne. De plus, en 2001l’ISMHO propose plusieurs principes pour aider le thérapeute à déterminer si la pratique en ligne est une bonne indication pour lui. Le document ne délivre pas clairement d’indications ou de non-indications, mais plutôt des questions ouvertes amenant à la réflexion en prenant en compte divers paramètres (les préférences du patient, les connaissances des deux sur internet, la personnalité du patient, etc.). Enfin, au début de l’année 2000, l’ISHMO et la Psychiatric Society for Informatics publient en collaboration des recommandations éthiques sur la pratique de la psychothérapie en ligne. Ces recommandations s’articulent en trois points : le consentement éclairé du patient, la procédure standard et le traitement des urgences.

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Quelle est l’efficacité des thérapies en ligne ?

Il faudra attendre le cours des années 2000 pour voir apparaître les premières recherches scientifiques mesurant l’efficacité des thérapies en ligne. Durant la première décennie de ces années, plusieurs études ont démontré que la thérapie en ligne était d’une efficacité clinique semblable à la psychothérapie en présentiel. Une méta-analyse de Azy Barak et ses collaborateurs de 2008 montre aussi que le bénéfice de la thérapie en ligne est aussi durable que celui de la thérapie en présentiel. Au niveau des processus et des variables importants en jeux dans la relation thérapeutique, la recherche a démontré que ceux induits par la relation en ligne sont similaires à ceux en présentiel.

Pour ce qui est des divers modes de télépsychothérapie, les études de la première décennie des années 2000 ont démontré que la psychothérapie par chat et mails étaient les plus appréciées par les patients. Les auteurs justifient cette préférence par le fait que les psychothérapies par écrit permettent un anonymat parfois total qui, comme expliqué plus haut dans l’article, réduit la peur d’être jugé et encourage le patient à plus se confier que s’il était en visio par exemple. En outre, une étude de Kessler & collaborateurs de 2009 a démontré un effet bénéfique de la thérapie uniquement par chat chez des patients dépressifs en appliquant les principes de la thérapie cognitivo-comportementale. En revanche, Ron Kraus prévoyait, en 2010, que les psychothérapies en visioconférence finiraient par prendre le pas sur les psychothérapies par écrit puisque ce sont elles qui se rapprochent le plus des thérapies en présentiel. D’ailleurs, certains autres auteurs conseillaient déjà à l’époque l’utilisation de la visioconférence pour le diagnostic et le traitement de divers troubles mentaux (Antonacci & al., 2008).

Ainsi, les années 2010 ont vu naître de plus en plus d’études sur l’efficacité de la psychothérapie en ligne. L’une des plus significatives est celle de Wagner & collaborateurs (2014) qui ont testé les effets de la thérapie par visioconférence chez des patients souffrant de dépression en comparaison avec des séances classique, en présentiel. Les résultats ont démontré que la thérapie en ligne était plus efficace que la thérapie en présentiel chez les personnes souffrant de dépression sévère (53% d’amélioration en ligne contre 50 en présentiel). Néanmoins, l‘amélioration des symptômes était plus importante en présentiel qu’en ligne chez les patients souffrant de dépression légère. Plus surprenant encore, les bénéfices de la thérapie en visioconférence avait duré plus longtemps que ceux de la thérapie en présentiel. Les auteurs expliquent ces résultats par le fait qu’en ligne, les patients avaient beaucoup plus tendance à se focaliser sur leurs troubles et les aspects concrets du traitement et se rendaient beaucoup plus acteurs de leur thérapie tandis que les patients en présentiel avaient plus tendance à vouloir discuter de sujets généraux. Dernier point (malheureusement négatif) de cette étude : les patients en visioconférence ont été plus nombreux à abandonner la thérapie que ceux en présentiel (22% contre 7%). Les chercheurs de cette étude avaient appliqué un protocole cognitivo-comportemental du traitement de la dépression.

D’autres études ont également démontré scientifiquement l’efficacité de la thérapie en visioconférence dans le traitement de différents troubles comme le stress post-traumatiques ou les addictions au tabac ou aux opiacés. Par exemple Olthuis & collaborateurs (2016) ont démontré que pour le stress post-traumatique, les effets de la thérapie en ligne étaient semblables à ceux de la thérapie en présentiel. En revanche, cette recherche a trouvé que les effets de la thérapie en visio était moins durables que ceux de la thérapie en présentiel.

En outre, lors de cette étude, les chercheurs ont comparé les différentes méthodes de thérapie en ligne (mail, chat, téléphone, visio, etc.) et ont montré que la thérapie par visio était la plus efficace. Les auteurs expliquent ce résultat par le fait que premièrement, le contact visuel (avec le non-verbal et le para-verbal) est très important dans le processus thérapeutique et que deuxièmement, lors de séances en visio, le patient est pleinement dans la thérapie tandis que lors d’échanges par mails ou chat, il peut papillonner et réaliser d’autres activités en attendant la réponse du thérapeute. Troisièmement, la relation thérapeutique joue un rôle indispensable dans le processus de guérison des patients et cette relation sera d’autant plus forte si la rencontre est proche d’une rencontre réelle.

Finalement, les études sur (l’efficacité de) la thérapie en ligne n’en sont encore qu’à leur début, mais les recherches effectuées pour l’instant sont prometteuses. Il semble important de continuer à mener des recherches sur ce mode de thérapie tant il devient de plus en plus courant. En effet, depuis la première plateforme de psychologie en ligne créée en 2017 (Doctoconsult) ayant obtenu l’accréditation de l’Agence Régionale de Santé (ARS) et remboursée par la sécurité sociale, les plateformes de consultations en ligne ne cessent de croître et de plus en plus d’individus se tournent vers la thérapie en ligne, très pratique et facile d’accès, aussi bien pour les praticiens que pour les patients.

 

Sources & références :

  • Antonacci , D. J. , Bloch , R. M. , Saeed , S. A. , Yildirim , Y. , & Talley , J. ( 2008 ). Empirical evidence on the use and effectiveness of telepsychiatry via videoconferencing: Implications for forensic and correctional psychiatry . Behavioral Sciences and the Law , 26 , 253 – 269 .
  • Barak A., Grohol J. M., 2011, « Current and Future Trends in Internet-Supported Mental Health Interventions », in Journal of Technology in Human Services, 29 : 155-196.
  • Barak , A. , Hen , L. , Boniel-Nissim , M. , & Shapira , N. ( 2008 ). A comprehensive review and a meta-analysis of the effectiveness of Internet-based psychotherapeutic interventions . Journal of Technology in Human Services , 26 , 109 – 160 .
  • Cerveau & Psycho n°91
  • Kessler , D. , Lewis , G. , Kaur , S. , Wiles , N. , King , M. , Weich , S. , … Peters , T. J. ( 2009 ). Therapist-delivered Internet psychotherapy for depression in primary care: A randomised controlled trial . Lancet , 374 , 628 – 634 .
  • Kraus , R. ( 2010a ). The future of health care and online counseling . In R. Kraus , G. Stricker & C. Speyer (Eds.), Online counseling: A handbook for mental health professionals ( , 2nd ed. , pp. 273 – 284 ). San Diego , CA : Elsevier .
  • Leroux, Y. (2008). Psychothérapies en ligne – histoire, questions ethiques, processus. Psychothérapies, vol. 28(3), 211-221. doi:10.3917/psys.083.0211.
  • J. V. Olthuis et al., Dis­tance-delivered inter­ventions for PTSD : A systematic review and meta-analysis, Journal of Anxiety Disorders Review, vol. 44, pp. 9-26, 2016.
  • B. Wagner et al., Inter­net-based versus face-to-face cognitive-be­havioral intervention for depression : A randomized controlled non-inferiority trial, Journal of Affective Disorders, pp. 113-121, 2014.

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